Le premier budget du gouvernement Carney, dévoilé le 4 novembre 2025, suscite des réactions passionnées au Québec, entre compressions amères dans la fonction publique et espoirs d’investissements massifs en infrastructures et défense. Avec un déficit record de 78,3 milliards de dollars et des coupes visant 40 000 postes fédéraux d’ici 2029, ce plan budgétaire divise profondément syndicats et patronat, révélant les tensions d’une économie fragilisée par la guerre commerciale américaine. Pour les Québécois, ces mesures ne sont pas qu’un exercice comptable : elles touchent l’emploi quotidien, la qualité des services publics et l’avenir des PME, invitant à une réflexion urgente sur l’équilibre entre austérité et croissance.
Ce document, présenté par le ministre des Finances François-Philippe Champagne, trace une ligne claire : des économies de 60 milliards sur cinq ans via un examen exhaustif des dépenses, couplées à 280 milliards d’investissements stratégiques. Au Québec, où le chômage frôle les 7 % et l’inflation pèse sur les ménages, ces choix résonnent comme un pari risqué. Les centrales syndicales y voient une trahison des promesses électorales de Mark Carney, tandis que les employeurs saluent un virage pro-compétitivité. Explorons ces dynamiques, en nous appuyant sur des données précises, pour démêler ce qui sépare satisfaction modérée et vives critiques dans ce budget tant attendu.
Compressions dans la Fonction Publique : Un Choc pour les Syndicats
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Les grandes centrales syndicales québécoises, représentant plus de 2 millions de travailleurs, ont exprimé une déception unanime face aux coupes budgétaires qui frappent la fonction publique fédérale. La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ), avec ses 600 000 membres, accueille favorablement les investissements en infrastructures, mais alerte sur les risques pour les services essentiels. Denis Bolduc, secrétaire général de la FTQ, insiste : « Pour bâtir un Canada fort, cela ne peut se faire sans les travailleurs qui livrent les services à la population »¹. Cette position reflète une crainte tangible : les 40 000 suppressions de postes prévues d’ici 2029, soit 10 % de l’effectif fédéral actuel de 357 000 employés, pourraient aggraver les pénuries de personnel dans la santé et l’éducation, secteurs déjà tendus au Québec.
La Confédération des syndicats nationaux (CSN), forte de 325 000 adhérents, va plus loin en qualifiant les compressions de 15 % sur trois ans dans les ministères d’« injustifiées ». Sa présidente, Caroline Senneville, dénonce l’abandon de mesures fiscales comme la hausse d’imposition sur les gains en capital et la taxe sur les services numériques, qui auraient pu générer 10 milliards annuels selon le Directeur parlementaire du budget². Ces choix, argue-t-elle, privilégient les grandes entreprises au détriment des finances publiques, dans un contexte où la croissance du PIB est projetée à seulement 1,1 % en 2025³. La CSN pointe aussi les impacts sectoriels : des coupes au financement de Services correctionnels Canada risquent d’exacerber la surpopulation carcérale, avec des répercussions sur la sécurité publique.
Quant à la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), regroupant 200 000 membres majoritairement dans l’éducation et la santé, elle décrit le budget comme « décevant et traditionnel malgré un enrobage sucré ». Éric Gingras, son président, critique la chute de la croissance des dépenses de programmes – de 8 % à 0,6 % pour la première année – et l’usage de l’intelligence artificielle (IA) comme « outil de compressions » plutôt que d’innovation⁴. L’absence d’investissements substantiels en logement social (seulement 13 milliards sur cinq ans au national) et en environnement est vue comme un manquement, alors que le Québec fait face à une crise du logement touchant 20 % des ménages modestes. Ces réactions syndicales, ancrées dans des analyses budgétaires précises, soulignent un risque d’érosion des acquis sociaux, particulièrement au Québec où les services publics représentent 40 % du PIB provincial.
Pour un public général, ces coupes évoquent des files d’attente plus longues à l’hôpital ou des classes surchargées ; pour les experts, elles rappellent les réformes de 2012 sous Stephen Harper, qui avaient réduit l’effectif de 19 000 postes sans gains de productivité nets. Le gouvernement Carney justifie ces mesures par un « examen exhaustif des dépenses » visant 60 milliards d’économies sur cinq ans, incluant une réduction de la sous-traitance et une optimisation via l’IA⁵. Mais sans filet de transition clair, comme des programmes de reconversion, ces choix pourraient amplifier les inégalités régionales, le Québec étant surreprésenté dans la fonction publique fédérale avec 15 % des postes.
Mesures d’Investissement : Un Soutien Nuancé du Patronat
Du côté patronal, les réactions sont plus tempérées, avec un accueil positif des initiatives pro-croissance, malgré des regrets sur la fiscalité. La Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), voix de 60 000 entreprises, met en lumière trois avancées : les investissements records en défense (60 milliards sur cinq ans, visant 5 % du PIB d’ici 2035 pour l’OTAN), l’initiative « Achetez canadien » pour stimuler l’industrie locale, et les incitatifs fiscaux pour la recherche et développement (R&D), incluant un amortissement accéléré des actifs⁶. Véronique Proulx, PDG de la FCCQ, nuance toutefois : « Les taxes et impôts demeurent élevés par rapport aux concurrents américains »⁷, une critique récurrente dans un contexte de guerre commerciale où les États-Unis imposent des tarifs douaniers de 25 % sur l’acier canadien.
Le Conseil du patronat du Québec (CPQ), représentant 80 000 employeurs, salue les crédits d’impôt pour les énergies propres et la « superdéduction » pour les investissements privés, estimés à 22 milliards annuels pour booster la productivité⁸. Norma Kozhaya, économiste en chef, y voit un passage « d’une posture défensive à une stratégie de croissance »⁹, aligné sur les 115 milliards prévus pour les infrastructures sur cinq ans, dont 55 millions pour les aéroports et le Bureau des grands projets comme Alto. Ces mesures pourraient créer 50 000 emplois qualifiés au Québec, selon des projections sectorielles, en favorisant des corridors commerciaux pour diversifier les exportations au-delà des États-Unis.
Pour approfondir, notons que ces investissements s’inscrivent dans une réponse à la « tempête commerciale » initiée par Donald Trump : un fonds de 51 milliards sur dix ans pour des projets communautaires, priorisant la main-d’œuvre qualifiée, et 5 milliards pour des minéraux critiques, cruciaux pour l’industrie automobile québécoise¹⁰. Les employeurs regrettent cependant l’absence de baisse du taux d’imposition des entreprises (15 % fédéral), qui reste 5 points au-dessus de la moyenne américaine, freinant la compétitivité. Globalement, ce volet du budget est perçu comme un levier pour une économie résiliente, avec des multiplicateurs d’emplois estimés à 1,5 par dollar investi en infrastructures¹¹.
Les PME : Une Voix Marginalisée dans le Débat Budgétaire
Les petites et moyennes entreprises (PME), qui emploient 90 % des travailleurs québécois, se sentent exclues des bénéfices du budget Carney. La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante (FCEI), avec 110 000 membres, exprime une « déception marquée ». Jasmin Guénette, vice-président, déplore un « allégement fiscal significatif manqué pour les PME »¹². Le Fonds de 51 milliards pour « Bâtir des communautés fortes » cible les projets syndiqués, écartant 90 % des PME ; de même, l’Initiative régionale de réponse tarifaire (1 milliard) exclut plus de la moitié d’entre elles par taille ou secteur¹³. Dans un Québec où les PME représentent 99 % des entreprises mais seulement 40 % des exportations, ces omissions risquent d’aggraver la vulnérabilité face aux tarifs douaniers américains.
Cette marginalisation s’explique par une priorisation des grands projets : les 280 milliards d’investissements sur cinq ans vont majoritairement à la défense (40 %) et aux infrastructures (41 %), laissant les PME sans soutien direct pour l’innovation numérique ou la transition verte¹⁴. Des études montrent que sans allégements, 20 % des PME québécoises pourraient reporter des embauches en 2026¹⁵. Pour les entrepreneurs, c’est un signal contradictoire : le budget promet une « transformation générationnelle », mais oublie les acteurs qui ancrent l’économie locale.
Innovation et Contexte Économique : Des Signaux Mixtes pour l’Avenir
La Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) salue les 115 milliards en infrastructures, voyant un « signal clair pour la prochaine économie canadienne »¹⁶. Isabelle Dessureault, PDG, apprécie les 55 millions pour les aéroports et le Bureau des grands projets, accélérant des initiatives comme Alto¹⁷. Dans la fintech, Shakepay célèbre la reconnaissance des stablecoins, avec un cadre prudentiel de la Banque du Canada (réserves 1:1)¹⁸. Simon Ross y voit « un grand pas pour les paiements numériques »¹⁹, potentiellement injectant 2 milliards en innovation au Québec.
L’économiste en chef de CPA Canada, David-Alexandre Brassard, contextualise : le budget anticipe une « conjoncture plus difficile », avec déficits croissants avant résorption²⁰. La suppression de taxes Trudeau (logements sous-utilisés, luxe) simplifie le régime, mais appelle à une réforme profonde²¹. Au Québec, où les inégalités de revenu creusent (hausse de 15 % pour les bas salaires depuis 2023), ce plan pourrait freiner la reprise si les coupes impactent les transferts provinciaux.
Conclusion : Un Équilibre Fragile, un Appel à l’Action Collective
Le budget Carney, avec ses compressions amères et ses investissements ambitieux, pose une question cruciale : peut-on bâtir une croissance inclusive sans sacrifier les fondations sociales ? Au Québec, où syndicats et patronat convergent sur le besoin de stabilité, ce document n’est pas une fin, mais un début. Pour les familles, c’est un rappel que l’économie n’est pas abstraite ; pour les décideurs, une invitation à dialoguer. Et si, au-delà des chiffres, nous conversions ce débat en opportunité pour un Canada plus équitable ? Le Québec, avec sa résilience historique, pourrait mener cette réflexion – à condition d’agir ensemble, avant que les vents contraires ne s’intensifient.
Références :
¹ FTQ, Réaction au budget fédéral 2025, 4 novembre 2025 : https://www.ftq.qc.ca/actualites/budget-federal-2025-reactions-ftq
² CSN, Des baisses d’impôts qui plombent le premier budget Carney, 4 novembre 2025 : https://www.csn.qc.ca/actualites/des-baisses-dimpots-qui-plombent-le-premier-budget-carney
³ Radio-Canada, Premier budget de Mark Carney : les faits saillants, 4 novembre 2025 : https://ici.radio-canada.ca/info/en-direct/1013137/budget-federal-2025-gouvernement-carney
⁴ CSQ, Guerre commerciale : ce n’est pas le temps de limiter l’accès à l’assurance-emploi, 9 octobre 2025 (contexte pré-budgétaire) : https://www.lacsq.org/actualite/guerre-commerciale-ce-nest-pas-le-temps-de-limiter-lacces-a-lassurance-emploi/
⁵ Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), Budget fédéral 2025 : un Canada assujetti au secteur privé, 5 novembre 2025 : https://iris-recherche.qc.ca/blogue/etat-finances-publiques-et-secteur-public/budget-canada-2025/
⁶ FCCQ, Réactions au budget fédéral 2025, 4 novembre 2025 : https://www.fccq.ca/actualites/budget-federal-2025
⁷ Les Affaires, Budget fédéral : les réactions des organisations et des syndicats, 4 novembre 2025 : https://www.lesaffaires.com/bourse/economie/budget-federal-les-reactions-des-organisations-et-des-syndicats/
⁸ CPQ, Analyse du budget Carney 2025, 5 novembre 2025 : https://www.cpq.org/actualites/budget-federal-2025
⁹ La Presse, Budget fédéral : les six clés pour comprendre, 4 novembre 2025 : https://lapresse.ca/affaires/2025-11-04/les-six-cles-du-budget-federal.php
¹⁰ Radio-Canada, Budget fédéral : dépenses de taille, compressions humbles et un déficit qui se creuse, 4 novembre 2025 : https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/2205360/budget-federal-depenses-compressions-investissements-deficit-2025
¹¹ Globe and Mail, Federal budget highlights 2025 : What stands out in Carney’s Trump survival plan, 5 novembre 2025 : https://www.theglobeandmail.com/politics/article-federal-budget-highlights-2025-carney-trade-defence/
¹² FCEI, Réaction au budget fédéral 2025, 4 novembre 2025 : https://www.fcei.com/actualites/budget-carney-2025
¹³ Journal de Montréal, Budget fédéral : le déficit atteint 78 milliards $, 4 novembre 2025 : https://www.journaldemontreal.com/2025/11/04/en-direct–le-gouvernement-carney-devoile-son-budget-federal
¹⁴ Acadianouvelle, Budget fédéral : Carney et Champagne ont fait de bons choix, 5 novembre 2025 : https://www.acadienouvelle.com/actualites/2025/11/05/budget-federal-carney-et-champagne-ont-fait-de-bons-choix/
¹⁵ Le Devoir, Qui est touché par les nouvelles mesures du budget fédéral ?, 4 novembre 2025 : https://www.ledevoir.com/economie/930945/est-touche-nouvelles-mesures-budget-federal
¹⁶ CCMM, Réactions au budget 2025, 4 novembre 2025 : https://www.ccmm.ca/actualites/budget-federal
¹⁷ Radio-Canada, Budget fédéral 2025 : Dossier, 4 novembre 2025 : https://ici.radio-canada.ca/info/dossier/1013095/budget-federal-2025-ottawa
¹⁸ Finance et Investissement, Des réactions contrastées au premier budget du gouvernement Carney, 6 novembre 2025 : https://www.finance-investissement.com/nouvelles/des-reactions-contrastees-au-premier-budget-du-gouvernement-carney/
¹⁹ Ibid.
²⁰ CPA Canada, Analyse économique du budget 2025, 5 novembre 2025 : https://www.cpacanada.ca/fr/actualites/budget-federal-2025
²¹ National Post, Federal budget 2025 has few surprises, 4 novembre 2025 : https://nationalpost.com/news/federal-budget-2025-mark-carney-francois-philippe-champagne
