
L’industrie automobile canadienne se retrouve dans une position précaire, confrontée à des menaces croissantes de la part du président américain Donald Trump. Alors que les relations économiques entre le Canada et les États-Unis ont toujours été étroites, notamment dans le secteur automobile, les récentes déclarations et politiques tarifaires de Trump placent ce pilier économique sous une tension sans précédent. Voici un aperçu de la situation et de ses implications.
Une industrie intégrée et vulnérable
L’industrie automobile nord-américaine est un modèle d’intégration transfrontalière, forgé par des décennies de collaboration entre le Canada, les États-Unis et le Mexique. Environ 1,5 million de véhicules sont produits chaque année au Canada, dont 88 % sont exportés vers les États-Unis, selon le Trillium Network for Advanced Manufacturing. Cette dépendance envers le marché américain rend le secteur particulièrement sensible aux politiques commerciales de Washington. Des géants comme Toyota, Honda, Ford, General Motors et Stellantis exploitent des usines au Canada, notamment en Ontario, où des villes comme Windsor et Oshawa sont des centres névralgiques de production.
Cette intégration signifie également que les pièces détachées traversent la frontière plusieurs fois avant qu’un véhicule ne soit assemblé. Une perturbation, comme l’imposition de tarifs douaniers, pourrait paralyser cette chaîne d’approvisionnement complexe et hautement optimisée.
Les menaces de Trump : un coup dur potentiel
Depuis son retour à la présidence, Donald Trump a intensifié ses attaques verbales et ses mesures protectionnistes contre le Canada. Le 12 mars, des tarifs de 25 % sur l’acier et l’aluminium canadiens sont entrés en vigueur, et Trump a menacé d’imposer des droits de douane pouvant atteindre 50 à 100 % sur les véhicules fabriqués au Canada si aucun « accord » n’est conclu. Il a déclaré à plusieurs reprises vouloir « ramener la fabrication automobile à Détroit », affirmant que le Canada a « volé » cette industrie aux États-Unis.
Ces menaces s’inscrivent dans une stratégie plus large visant à utiliser les tarifs comme levier pour obtenir des concessions sur des questions comme la sécurité frontale et le trafic de fentanyl, bien que les experts soulignent que le Canada joue un rôle minime dans ces problèmes par rapport au Mexique. Cependant, pour l’industrie automobile, les conséquences pourraient être dévastatrices. Flavio Volpe, président de l’Automotive Parts Manufacturers Association, a averti qu’un tarif de 25 % pourrait arrêter la production en une semaine, en raison de l’incapacité des fournisseurs à absorber ces coûts ou à stocker des pièces en quantités suffisantes.
Impacts économiques et sociaux
L’industrie automobile emploie directement 128 000 personnes au Canada et contribue à hauteur de 18 milliards de dollars au PIB, selon l’Association canadienne des constructeurs de véhicules. Une fermeture ou une réduction drastique de la production aurait des répercussions en cascade, touchant non seulement les travailleurs des usines, mais aussi les fournisseurs de pièces et les communautés dépendantes de ce secteur, notamment en Ontario.
Les analystes estiment que des tarifs élevés augmenteraient le prix moyen des véhicules aux États-Unis de 2 700 $ à 6 000 $, selon Jefferies et Bernstein Research, ce qui pourrait réduire la demande et affecter les ventes des constructeurs américains eux-mêmes, comme Ford et GM, qui dépendaient fortement de leurs usines canadiennes pour des modèles de phares comme le Chevrolet Silverado.
Réactions et perspectives
Le gouvernement canadien, sous la direction du nouveau Premier ministre Mark Carney depuis le 14 mars, prépare des contre-mesures, y compris des tarifs de rétorsion sur des produits américains comme l’électricité ou les produits agricoles. Carney a cherché à renforcer les liens avec l’Europe pour diversifier les marchés, mais un tel virage prendra du temps – trop, peut-être, pour sauver l’industrie automobile à court terme.
Les experts s’accordent à dire que remplacer la capacité de production aux États-Unis coûterait des dizaines de milliards de dollars canadiens et prendrait une décennie, rendant l’objectif de Trump irréaliste à court terme. Dimitry Anastakis, professeur à l’Université de Toronto, souligne que déplacer des usines comme celle de Stellantis à Windsor, qui a récemment retenu un investissement de 1,5 milliard de dollars US, serait une perte économique colossale pour les deux pays.
Un avenir incertain
Alors que les négociations entre Ottawa et Washington se poursuivent, l’industrie automobile canadienne retient son souffle. Les menaces de Trump, qu’elles se concrétisent ou restent des tactiques de pression, ont déjà semé l’incertitude, freinant les investissements et érodant la confiance. Pour un secteur qui prospère grâce à la coopération transfrontalière, l’avenir dépendra de la capacité des deux nations à trouver un terrain d’entente – ou de la résilience du Canada face à un protectionnisme croissant américain. En attendant, les travailleurs, les entreprises et les communautés concernées se préparent à un choc qui pourrait redéfinir l’économie nord-américaine.