La Chine peut-elle vraiment défier le règne du dollar?

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Dans un monde où le dollar américain règne en maître sur les échanges internationaux, la Chine, deuxième puissance économique mondiale, semble vouloir redessiner les contours de la finance globale. Avec des réserves massives de bons du Trésor américain et une ambition croissante de promouvoir le yuan, Pékin pourrait-il orchestrer une dédollarisation ou une vente massive de la dette américaine ? Cet article explore les enjeux, les stratégies et les limites de cette ambition, en s’appuyant sur des données récentes et des analyses économiques.

Le dollar : un colosse aux pieds d’argile ?

Le dollar américain est la colonne vertébrale du système financier mondial. Environ 88 % des transactions internationales en 2022 étaient libellées en dollars, selon la Banque des règlements internationaux (BRI). Il domine les échanges commerciaux, les réserves de change (58 % des réserves mondiales en 2023, selon le FMI) et les marchés de la dette. Cette hégémonie confère aux États-Unis un pouvoir unique, notamment via les sanctions financières, comme celles imposées à la Russie post-2022, qui ont gelé des actifs en dollars.

Cependant, cette domination suscite des inquiétudes. La Chine, qui détient environ 816 milliards de dollars en bons du Trésor américain fin 2023 (U.S. Treasury Department), voit dans cette dépendance une vulnérabilité. Les tensions géopolitiques, notamment avec les États-Unis, et la « weaponisation » du dollar incitent Pékin à envisager des alternatives. Mais pourquoi la Chine chercherait-elle à défier ce système ? La réponse réside dans son ambition d’autonomie financière et de leadership mondial.

La dédollarisation, processus visant à réduire la dépendance au dollar, est devenue un mot-clé dans les cercles stratégiques chinois. En promouvant le yuan dans les échanges internationaux et en diversifiant ses réserves, Pékin cherche à se protéger contre d’éventuelles sanctions et à renforcer son influence. Pourtant, ce projet est-il réalisable à court terme ? Les obstacles structurels et économiques sont nombreux.

Les bons du Trésor américain : un levier à double tranchant

La Chine est le deuxième plus grand détenteur étranger de bons du Trésor américain, après le Japon. Cependant, ses avoirs ont chuté de 1,3 trillion de dollars en 2013 à 816 milliards en 2023, selon les données du Trésor américain. Cette réduction pourrait refléter une stratégie délibérée de diversification ou une réponse à des besoins économiques internes, comme soutenir le yuan face à des pressions déflationnistes.

Vendre massivement ces titres pourrait, en théorie, déstabiliser les marchés financiers américains. Une telle action ferait grimper les rendements des obligations, augmentant les coûts d’emprunt pour Washington. Par exemple, une hausse de 1 % des rendements pourrait ajouter 200 milliards de dollars aux dépenses d’intérêts annuelles des États-Unis, selon les estimations du Congressional Budget Office (2023). Cependant, une vente massive nuirait aussi à la Chine. Une chute des prix des bons du Trésor dévaluerait ses propres actifs, et l’impact sur les marchés mondiaux pourrait perturber ses exportations, qui reposent largement sur le dollar.

De plus, les alternatives au dollar sont limitées. L’euro, deuxième monnaie mondiale, représente seulement 20 % des réserves de change (FMI, 2023), et son adoption est freinée par l’absence d’un marché obligataire unifié en Europe. Le yuan, quant à lui, ne représente que 2,3 % des transactions internationales (BRI, 2022), limité par les contrôles de capitaux chinois et la faible convertibilité de la monnaie. Ainsi, les bons du Trésor restent un actif incontournable pour Pékin, malgré son ambition de dédollarisation.

La montée du yuan : ambition ou mirage ?

Promouvoir le yuan comme monnaie internationale est un pilier de la stratégie chinoise. Depuis les années 2010, Pékin a multiplié les initiatives : accords commerciaux en yuan, création de l’Asian Infrastructure Investment Bank (AIIB), et intégration du yuan dans le panier de droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI en 2016. En 2023, environ 2,7 % des paiements mondiaux via SWIFT étaient en yuan, une progression notable mais encore marginale.

Cependant, plusieurs obstacles freinent cette ambition. Le yuan n’est pas entièrement convertible, et les contrôles stricts sur les capitaux limitent son attractivité. Par exemple, les investisseurs étrangers ne détenaient que 3 % des obligations chinoises en 2023, contre 20 % pour les obligations américaines (Bloomberg). De plus, la confiance dans la gouvernance économique chinoise reste fragile, notamment en raison de l’opacité des données et des interventions de l’État.

Des progrès sont visibles, notamment dans les échanges avec les partenaires de la Belt and Road Initiative, où le yuan gagne du terrain. Par exemple, en 2023, 20 % des exportations chinoises vers la Russie étaient libellées en yuan, contre 10 % en 2020 (Reuters). Mais remplacer le dollar nécessiterait une transformation structurelle du système financier chinois, un processus qui pourrait prendre des décennies.

Les risques géopolitiques d’une dédollarisation

La dédollarisation n’est pas seulement économique ; elle est profondément géopolitique. Les tensions sino-américaines, exacerbées par les différends commerciaux et les sanctions technologiques, alimentent la méfiance de Pékin envers le système dollarisé. Les sanctions contre la Russie ont servi d’avertissement : en cas de conflit, par exemple autour de Taïwan, la Chine pourrait voir ses actifs en dollars gelés.

Cependant, une dédollarisation agressive pourrait provoquer des représailles. Les États-Unis pourraient restreindre l’accès de la Chine aux marchés financiers ou intensifier les sanctions. De plus, une vente massive de bons du Trésor risquerait de déclencher une crise mondiale, affectant les partenaires commerciaux de la Chine, comme l’Union européenne ou les pays d’Asie du Sud-Est, qui dépendent du dollar pour leurs échanges.

Enfin, la dédollarisation pourrait fragiliser l’économie chinoise elle-même. Une chute du dollar réduirait la valeur des exportations chinoises, qui ont atteint 3,4 trillions de dollars en 2023 (Banque mondiale), dont 80 % sont libellées en dollars. Pékin doit donc naviguer entre son ambition stratégique et la réalité de son interdépendance avec l’économie américain.

Une révolution financière ou une évolution prudente ?

La Chine a les moyens et la motivation de défier l’hégémonie du dollar, mais les obstacles sont colossaux. La dédollarisation, bien qu’attrayante sur le papier, se heurte à la réalité d’un système financier mondial profondément ancré dans le dollar. Vendre massivement les bons du Trésor américain serait un pari risqué, avec des conséquences économiques potentiellement désastreuses pour Pékin comme pour le reste du monde. La montée du yuan, bien que prometteuse, est freinée par des contraintes structurelles et une confiance internationale limitée.

Pourtant, l’ambition chinoise ne doit pas être sous-estimée. En diversifiant ses réserves, en promouvant le yuan et en renforçant son influence via des institutions comme l’AIIB, Pékin pose les bases d’un système financier alternatif. Cette transition sera probablement graduelle, marquée par des avancées prudentes plutôt qu’une rupture brutale. Pour le public, la question est claire : un monde sans le dollar comme monnaie dominante est-il souhaitable ? Et si oui, à quel prix ? Ces interrogations nous invitent à réfléchir à l’avenir de la finance mondiale et à la place que la Chine y occupera.