
La récente décision du Canada de supprimer sa taxe sur les services numériques (TSN) a ravivé l’espoir d’une entente commerciale avec les États-Unis, marquant un tournant dans les relations canado-américaines. Annoncée par le premier ministre Mark Carney le 29 juin 2025, cette mesure vise à apaiser les tensions avec l’administration Trump, qui avait qualifié la taxe de « provocation ». En relançant les négociations, Carney cherche à préserver les liens économiques cruciaux entre les deux nations, avec une échéance fixée au 21 juillet 2025. Cette décision, bien que controversée, pourrait redéfinir l’avenir des relations commerciales bilatérales, dans un contexte où les enjeux numériques et économiques dominent.
Contexte de la Taxe Numérique : Une Mesure Controversée
La taxe sur les services numériques, introduite en 2020 sous le gouvernement Trudeau, imposait une taxe de 3 % sur les revenus générés par les géants technologiques – principalement américains comme Google, Amazon, Meta, Uber et Airbnb – à partir des utilisateurs canadiens. Selon le ministère des Finances, elle ciblait les entreprises avec des revenus mondiaux supérieurs à 750 millions d’euros et des revenus canadiens d’au moins 20 millions de dollars. Prévue pour entrer en vigueur le 30 juin 2025, avec un effet rétroactif à 2022, la TSN devait générer environ 7,2 milliards de dollars d’ici 2029, selon le Directeur parlementaire du budget (DPB).
Cependant, cette taxe a immédiatement suscité l’ire des États-Unis, qui y voyaient une attaque ciblée contre leurs entreprises. Dès 2022, l’administration Biden avait initié des consultations dans le cadre de l’Accord Canada–États-Unis–Mexique (ACEUM), menaçant des représailles commerciales. Avec l’arrivée de l’administration Trump en 2025, les tensions se sont intensifiées. Trump a qualifié la TSN de « taxe discriminatoire » et a imposé des tarifs de 50 % sur l’acier et l’aluminium canadiens, ainsi que de 25 % sur les automobiles, tout en menaçant de rompre toutes négociations commerciales. La suppression de la TSN par le Canada, annoncée par Carney, répond directement à ces pressions, dans une tentative de désamorcer une guerre commerciale potentiellement dévastatrice.
Les Négociations Canado-Américaines : Un Enjeu de Taille
La décision de supprimer la TSN a permis de rouvrir le dialogue entre Ottawa et Washington. Lors d’une conversation avec le président Trump le 29 juin 2025, Mark Carney a obtenu un accord pour reprendre les négociations, avec pour objectif une entente économique et de sécurité d’ici le 21 juillet, échéance fixée lors du Sommet du G7 à Kananaskis. « Ça ne fait pas de sens de percevoir une taxe et de la rembourser ensuite », a déclaré Carney lors d’une mêlée de presse, soulignant une approche pragmatique pour éviter des tensions inutiles.
Les relations commerciales canado-américaines sont vitales pour les deux pays. En 2024, les exportations américaines vers le Canada ont atteint 349,4 milliards de dollars, tandis que les exportations canadiennes vers les États-Unis s’élevaient à 412,7 milliards, selon le Bureau du recensement des États-Unis. Une guerre commerciale prolongée, avec des tarifs additionnels, pourrait coûter des milliards aux deux économies. La suppression de la TSN, bien que perçue comme une concession, vise à protéger cet équilibre. Cependant, les négociations à venir devront aborder d’autres dossiers épineux, comme les tarifs douaniers imposés par Trump et la gestion de l’offre, un système clé pour l’agriculture canadienne.
Réactions et Critiques : Un Pari Risqué pour Carney
La décision de Carney a suscité des réactions mitigées au Canada. Les milieux d’affaires, comme la Chambre de commerce du Canada, ont applaudi la suppression de la TSN, arguant qu’elle risquait d’augmenter les coûts pour les consommateurs et de nuire aux relations avec les États-Unis, principal partenaire commercial du Canada. Selon un rapport de la Chambre, la TSN aurait pu entraîner une hausse des prix pour des services comme Uber (jusqu’à 8 %) et Airbnb (jusqu’à 12 %).
En revanche, des voix critiques se sont élevées. Le chef du Parti populaire du Canada, Maxime Bernier, a qualifié la décision de « capitulation » face à Trump, suggérant que Carney pourrait céder sur d’autres fronts, comme la gestion de l’offre. De son côté, le journaliste Paris Marx a déploré l’abandon de la TSN, arguant qu’elle était essentielle pour obliger les géants technologiques à contribuer équitablement à l’économie canadienne. Ces critiques soulignent un défi pour Carney : concilier les pressions internationales avec les attentes domestiques, tout en maintenant une image de fermeté.
Sur la scène internationale, la décision canadienne pourrait avoir des répercussions. Des pays comme la France, l’Italie et le Royaume-Uni, qui ont adopté des taxes numériques similaires, font face à des pressions américaines comparables. La capitulation du Canada pourrait encourager Trump à intensifier ses menaces contre ces nations, utilisant la TSN comme un précédent pour exiger des concessions. Carney a toutefois insisté sur une approche multilatérale, préférant un cadre fiscal international via l’OCDE, bien que les progrès dans ce domaine restent limités.
Perspectives pour l’Avenir : Entre Opportunités et Défis
La reprise des négociations canado-américaines offre une opportunité de renforcer les liens économiques, mais le chemin reste semé d’embûches. L’échéance du 21 juillet impose une pression énorme, d’autant que Trump a déjà menacé de nouveaux tarifs si les discussions n’aboutissent pas rapidement. Carney a promis de négocier dans l’intérêt des Canadiens, en prenant « le temps nécessaire, mais pas plus ». Cela suggère une volonté de trouver un équilibre entre concessions et défense des intérêts nationaux, notamment sur des dossiers comme l’énergie, l’agriculture et la sécurité frontalière.
À long terme, la suppression de la TSN pourrait redéfinir la stratégie fiscale du Canada face aux géants technologiques. Le gouvernement explore déjà des alternatives, comme un impôt minimum mondial sur les multinationales, soutenu par l’OCDE. Cependant, la dépendance économique du Canada envers les États-Unis – 75 % de ses exportations vont au sud de la frontière – limite sa marge de manœuvre. Carney devra naviguer avec prudence pour éviter de nouvelles concessions tout en maintenant la stabilité économique.
Conclusion : Un Tournant à Haut Risque
La suppression de la taxe numérique par Mark Carney est un pari audacieux pour préserver les relations canado-américaines, mais elle soulève des questions cruciales : le Canada peut-il défendre ses intérêts face à un partenaire aussi imprévisible que Trump ? La décision d’abandonner la TSN est-elle un recul stratégique ou une opportunité pour un partenariat renouvelé ? Alors que les négociations reprennent, les Canadiens observent avec attention. Ce moment charnière invite à réfléchir : dans un monde où les géants technologiques dominent et les tensions commerciales s’intensifient, comment le Canada peut-il conjuguer souveraineté économique et coopération internationale ? L’avenir des relations canado-américaines, et peut-être de l’économie mondiale, se joue dans les semaines à venir.