
Par Jean-Claude Larochelle, 9 avril 2025
Imaginez une Amérique où les usines bourdonnent à nouveau, où le pétrole coule à flots dans les veines du Texas, et où le déficit commercial, ce gouffre insatiable, s’efface enfin. C’est le rêve que Donald Trump vend à ses électeurs en ce printemps 2025, un retour au « Made in America » porté par des tarifs musclés et une autonomie énergétique triomphante. Mais derrière cette vision audacieuse se profile une ombre inquiétante : une tempête boursière imminente, des licenciements en cascade et des entreprises au bord du précipice. Le protectionnisme peut-il sauver les États-Unis, ou va-t-il les plonger dans un chaos digne de 1929 ? Le dollar et les bons du Trésor, ces piliers intouchables, pourraient bien tenir la réponse – ou devenir les otages d’un pari économique à haut risque.
Le choc immédiat : une bombe à retardement
À peine les premiers tariffs de 60 % sur la Chine évoqués, Wall Street tremble. Les écrans s’affolent, le S&P 500 plonge de 10 à 15 % en quelques semaines, et les investisseurs, fébriles, scrutent l’horizon. Pourquoi ? Parce que le protectionnisme, comme un bulldozer, ne fait pas de quartier. Les entreprises américaines, de la PME de l’Ohio au géant de la Silicon Valley, encaissent une double peine : des composants importés plus chers et des marchés étrangers qui se ferment sous les représailles. « On ne peut pas répercuter ces coûts sans perdre nos clients », confie un PDG de l’électronique sous couvert d’anonymat. Résultat : des licenciements en vue, jusqu’à 1,6 million d’emplois menacés en un an, selon nos estimations.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Le chômage, stable à 4 % aujourd’hui, pourrait bondir à 5 % d’ici l’automne. Les faillites, elles, explosent : 5 à 10 % d’entreprises supplémentaires risquent de mettre la clé sous la porte, surtout les petites structures déjà fragilisées par l’inflation persistante de 2024. « C’est un effet domino », explique l’économiste Laura Tyson. « Les tarifs touchent les importateurs, les exportateurs ripostent, et les consommateurs, pris en étau, cessent d’acheter. » Un écho sinistre au Hawley-Smoot Act de 1930, quand Herbert Hoover avait cru sauver l’Amérique en dressant des murs – pour mieux l’enterrer sous la Grande Dépression.
Le dollar et les bons du Trésor : les gardiens sous pression
Au cœur de cette tempête, deux titans vacillent : le dollar et les bons du Trésor. Le billet vert, roi incontesté des monnaies, soutient depuis des décennies le train de vie américain – ces 800 milliards de dollars de déficit commercial financés par des créanciers étrangers. Mais si Trump réduit les importations, moins de dollars circuleront hors des frontières. La Chine, qui détient 1 100 milliards de bons du Trésor, pourrait ralentir ses achats, voire vendre. « Ce serait une arme de dernier recours », prévient un analyste de Goldman Sachs. Les taux d’intérêt grimperaient, asphyxiant les entreprises endettées et amplifiant les faillites.
Pourtant, le dollar reste une forteresse. En temps de crise, il attire les investisseurs comme un aimant, un paradoxe qui pourrait limiter les dégâts boursiers. Les bons du Trésor, eux, jouent les pompiers : valeur refuge par excellence, ils absorbent les chocs, même si leurs rendements frémissent. « Tant que le monde croit en l’Amérique, ils tiendront », assure Janet Yellen, ex-secrétaire au Trésor. Mais pour combien de temps ? Une dépréciation brutale du dollar, si elle survient, ferait flamber l’inflation – un cauchemar pour les ménages déjà à bout.
L’atout dans la manche : l’énergie
Et si le salut venait des terres gorgées de pétrole du Dakota et des gisements de gaz du Golfe ? Les États-Unis, exportateurs nets d’énergie depuis 2019, possèdent une arme que Hoover n’avait pas. Avec 7,5 millions de barils de pétrole exportés par jour et un gaz naturel liquéfié qui inonde l’Europe, l’autonomie énergétique pourrait transformer le protectionnisme en succès. À long terme, les tarifs pourraient relocaliser l’industrie – acier, textile, peut-être même tech – et redessiner une économie moins dépendante des porte-conteneurs chinois.
« Si on tient deux ou trois ans, ça peut marcher », prédit Mark Zandi, économiste chez Moody’s. Un dollar affaibli par un déficit commercial réduit rendrait les exportations américaines irrésistibles, et les surplus énergétiques combleraient les pertes initiales. Mais ce pari repose sur une traversée du désert : des mois, voire des années, de turbulence avant que les usines ne tournent à plein régime et que les emplois reviennent.
Un pari à double tranchant
Trump joue gros. À court terme, le protectionnisme risque de semer le chaos : une bourse en chute libre, des files d’attente aux bureaux de chômage, des vitrines qui se ferment. Les fantômes de 1929 planent, mais l’histoire ne se répète pas toujours. L’énergie, cette manne moderne, et la résilience du dollar offrent une lueur d’espoir que Hoover n’a jamais eue. Pourtant, le succès n’est pas garanti. Si les représailles étrangères s’intensifient, si les créanciers lâchent les bons du Trésor, ou si les Américains refusent de payer le prix fort pour leur rêve d’autosuffisance, le remède pourrait être pire que le mal.
Dans les prochains mois, chaque indicateur comptera : le taux de chômage, les rendements des Treasuries, le cours du dollar. L’Amérique retient son souffle, suspendue entre un passé douloureux et un futur incertain. Trump, tel un capitaine défiant la tempête, parviendra-t-il à ramener le navire à bon port ? Ou sombrera-t-il, emportant avec lui une économie déjà fragile ? La réponse, comme toujours, est dans les chiffres – et dans le courage de ceux qui les affrontent.